mercredi 19 novembre 2008

Une histoire de Kuphus

Contrairement à une croyance bien implantée, le plus grand des bivalves ne serait peut-être pas Tridacna gigas Linné, 1758, le fameux bénitier géant qui peuple les lagons des mers chaudes - ainsi que, réduit de moitié, les entrées des églises. Le record appartiendrait en réalité à Kuphus polythalamia Linné, 1767, selon une ancienne édition (1997) du Registry of World Record Size Shells. Celui-ci indique l'existence d'un spécimen de plus de 1,50 m - curieusement, l'édition 2005 ne le mentionne plus - quand Tridacna gigas y plafonne à 1,37 m.

Kuphus polythalamia Linné, 1767 - 650 à 700 mm, Philippines.

Le registre des records vaut certes plus pour la satisfaction narcissique des collectionneurs qui y sont cités que pour sa contribution scientifique à la conchyliologie*; au moins, la question mérite d'être posée, et on peut regarder d'un autre oeil cet espèce de tube informe au nom imprononçable, connu des seuls spécialistes et des collectionneurs de bizarreries.

La littérature le concernant est pourtant pléthorique au XIXème siècle, les auteurs ne sachant pas à quelle genre attribuer ces tubes mystérieux, décrits par Linné en 1767 comme Serpula polythalamia - pour ne rien arranger, le maître de la classification moderne avait fait une erreur, dans la dixième édition de Systema naturae (1758), comme le notera plus tard Deshayes dans son Traité élémentaire de conchyliologie (1853) : "Linné avait confondu, sous le nom de Serpula arenaria, des choses entièrement distinctes".

Extrait de LAMARCK, 1801 - Système des animaux sans vertèbres

Au final, Kuphus polythalamia est donc un bivalve, de la famille des TEREDINIDAE. Un minuscule bivalve, une coquille de quelques centimètres au plus, qui après une phase classique de croissance se met en tête de se transformer en tube. La plupart des exemplaires qui circulent sont en fait cassés à leur base. Celle-ci montre deux tubes accolés, un pour chaque siphon (inhalant et exhalant). Harry G. Lee, du Jacksonville Shell Club, possède un Kuphus entier. Passé aux rayons X, le tube révèle les deux valves, restées prisonnières.



On ne sait pas grand chose d'autre, si ce n'est que Kuphus polythalamia vit dans la boue des mangroves. Ce n'est assurément pas un coquillage de décoration, mais une vraie curiosité conchyliologique.

* Rien de péjoratif dans cette remarque : la recherche de satisfactions narcissiques est l'un des ressorts de la collectionnite.